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Quel est votre diagnostic ? C'est le Phytophthora de l'aulne

Des dépérissements rapides d'aulnes implantés sur les berges d'une rivière qui coule en région AquitaineDes peuplements spontanés d'aulnes glutineux (Alnus glutinosa) longent le cours d'eau. Depuis quelques années, des arbres dépérissent et certains meurent en deux ou trois saisons seulement. Toutes les classes d'âge sont impactées et la répartition des sujets affectés sur les berges paraît très aléatoire. Seuls les aulnes sont affectés, les Salix et les Fraxinus présents sur les berges sont épa

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Le fait que seuls les aulnes soient affectés par le dépérissement et la répartition aléatoire du phénomène oriente le diagnosticien vers une agression d'origine biotique, ici Phytophthora alni. Les nécroses sous-corticales détectées dans la base des troncs à l'endroit des taches noires contrarient fortement le passage des flux de sève. L'arbre exprime alors un appauvrissement de son houppier correspondant à une alimentation hydrique insuffisante. Lorsque les nécroses s'étendent, le transfert de sève est interrompu et la mort de l'arbre intervient rapidement.

Les taches colorées et les écoulements visqueux plutôt visibles sur les écorces à la base du tronc s'observent fréquemment en présence d'autres maladies à Phytophthora, notamment la « maladie de l'encre » bien connue sur les châtaigniers et les chênes. Ces substances phénoliques oxydées sont produites par les tissus de l'arbre en réaction à la présence du pathogène. Une confirmation de l'agent pathogène en cause peut être obtenue à l'aide d'un Pocket Diagnostic. Facile à manipuler sur le terrain, ce test s'effectue sur un échantillon prélevé au niveau de la nécrose sous-corticale et préalablement broyé. Il utilise des anticorps spécifiques permettant de détecter la présence de Phytophthora mais sans en définir l'espèce. La détermination précise du pathogène nécessitera l'envoi d'un échantillon dans un laboratoire spécialisé.

ÉLÉMENTS DE BIOLOGIE

Cette maladie a fait son apparition dans le sud de l'Angleterre au début des années 90. Identifiée en France en 1996, elle a aujourd'hui infecté 70 % des rivières prospectées dans le Nord-Est. Elle s'est propagée dans de nombreux pays européens. Phytophthora alni résulte d'une hybridation naturelle interspécifique récente dont les mécanismes sont encore mal connus Jusqu'alors classés parmi les champignons, les Phytophthora appartiennent aujourd'hui aux oomycètes (organismes pluricellulaires filamenteux vivant en milieu aquatique. Ils sont proches des champignons mais se distinguent par leur paroi cellulosique, leurs noyaux diploïdes, la production de zoospores flagellées...). Le pathogène est présent dans le sol ou dans les tissus de l'arbre (base du tronc, collet ou racines) sous sa forme mycélienne. En conditions de forte humidité et au contact de l'eau, le mycélium produit des sporanges (organes de multiplication asexuée) qui émettent à leur tour des spores flagellées dotées d'une grande mobilité dans les milieux liquides, les zoospores. L'eau de la rivière les véhicule vers l'aval ; elle constitue la principale voie de dissémination du pathogène. Le transport de terre infectée (engins de chantier, chaussures, faune sauvage) ou de bois contaminé contribue dans une moindre mesure à sa propagation. Par chimiotactisme (phénomène par lequel des organismes uni ou pluricellulaires se dirigent en fonction de certains composés chimiques présents dans l'environnement – attirance ou évitement), les zoospores s'accumulent au niveau des zones de micro-blessures et des lenticelles du tronc ou sur les racines adventives. Elles germent et le mycélium infecte les tissus. Les lésions survenant à la base du tronc ou sur les racines superficielles lignifiées provoquent des nécroses « ceinturantes » qui contrarient le passage des flux de sève puis les bloquent, entraînant la mort de l'arbre. Ce sont les aulnaies implantées au bord de cours d'eau calmes qui subissent fortement cette maladie, car l'eau stagnante favorise le dépôt d'inoculum au pied des arbres. Il semble qu'une température estivale élevée de l'eau (supérieure à 16 °C) accélère la production de zoospores.

HÔTES POSSIBLES

En Europe, toutes les espèces d'aulnes endémiques sont sensibles à Phytophthora alni : Alnus glutinosa (aulne glutineux), A. incana (aulne blanc), A. viridis (aulne vert) et A. cordata (aulne de Corse). Mais ce sont essentiellement les aulnes longeant les cours d'eau qui sont infectés par l'oomycète. Les plantations urbaines d'aulnes de Corse situées en conditions sèches restent épargnées.

CONFUSIONS POSSIBLES

La maladie à Phytophthora de l'aulne présente une symptomatologie assez spécifique limitant les erreurs de diagnostic, notamment lorsque l'appauvrissement du houppier est associé aux taches noires à la base du tronc. Attention cependant à des cas de dépérissements ponctuels d'arbres souffrant de sécheresses estivales ou d'un assèchement accidentel des ripisylves. Mais les aulnes affectés expriment alors assez rapidement une descente de cime associée à l'émission de rejets... manifestation rare sur les sujets atteints par Phytophthora alni.

CONSÉQUENCES POUR LES ARBRES

Les aulnes infectés par Phytophthora alni dépérissent rapidement : en une année pour un jeune sujet et en deux à trois ans seulement pour un arbre adulte. Ces dépérissements massifs des aulnaies pourraient entraîner de profonds désordres au sein des ripisylves tant du point de vue hydraulique (stabilisation des berges) que biologique (biodiversité).

Par Pierre Aversenq, expert arboricole

Bibliographie : – Renaud Ioos (2006). Caractérisation génétique de Phytophthora alni Brasier & S.A. Kirk, hybride interspécifique agent du dépérissement de l'aulne en Europe. Thèse université Henri-Poincaré, Nancy 1. 196 pages. – Fredon Lorraine, Inra Nancy, Agence de l'eau Rhin-Meuse (2007). Dépérissement des aulnes glutineux dû à Phytophthora alni. 8 pages.

« Pocket Diagnostic » pour tester sur le terrainLe test s'effectue sur un échantillon prélevé au niveau de la nécrose sous-corticale et préalablement broyé. Il utilise des anticorps spécifiques permettant de détecter la présence de Phytophthora mais sans en définir l'espèce.

PHOTO : PIERRE AVERSENQ

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